Dictionnaire Superflu
à l'usage de l'élite et des bien nantis

Noms propres


K



" La métamorphose de Pancho Villa " (Goya).

Kafka (Franz), écrivain tchèque de langue allemande, né à Prague (1883-1924), auteur de romans (le Procès, le Château), de nouvelles et d'un journal intime, qui exprime le désespoir de l'homme devant l'absurdité de l'existence. Kafka était juif, mais il n'en tirait ni joie ni fierté, ni honte ni tristesse. En réalité, Kafka ne tirait ni joie ni peine de rien ni personne. Simplement, il se sentait mal à l'aise depuis ce matin de 1883 où, alors que tout allait bien pour lui, il est né. Il conçut de cet événement un dégoût inexplicable qui ne le quitta qu'au jour de sa mort. Toute sa vie, cet homme marcha à côté de sa tête. Il avait la vie comme on a le cancer, et se heurtait aux conformités, tel le cafard enfermé butant au mur sans jamais trouver la faille au trou noir salvateur.
Il avait le désir d'aimer mais ne savait pas. Souvent lui venait l'envie de dire : " Bonjour, homme mon frère, mon semblable, mets ta main sur mon épaule, porte un peu mon chagrin, viens chanter dans ma vie. " Mais quelque chose l'en empêchait, et il disait : " Bonjour, monsieur Odradek. Espérons qu'il ne va pas pleuvoir. "

La nouvelle la plus connue de Kafka - c'est plutôt un roman de près de cent pages - s'appelle la Métamorphose (Die Verwandlung).
Comme l'essentiel de son oeuvre, elle a été traduite en français par Alexandre Vialatte qui est assurément l'un des plus grands écrivains de ce demi siècle, ce ne sont pas les trous du cul du nouveau roman qui me péteront le contraire. En fait, le travail de Vialatte sur les textes de Kafka ne relève pas seulement de la simple traduction, c'est la même musique et la même chanson, et c'est normal car ces deux hommes étaient infiniment semblables, éblouissants d'intelligence, pétris du même humour sombre, l'un et l'autre perpétuellement en état de réaction lucide contre l'absurdité fondamentale des guichetiers infernaux de l'administration des âmes. Vialatte avait le désespoir plus souriant, Kafka la dérision plus maladive, mais ces deux-là suivaient le même chemin.
En allemand comme en français, la Métamorphose commence ainsi : " Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa s'éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine. Il était couché sur le dos, un dos dur comme une cuirasse, et, en levant un peu la tête, il s'aperçut qu'il avait un ventre brun en forme de voûte, divisée par des nervures arquées. La couverture, à peine retenue par le sommet de cet édifice, était près de tomber complètement, et les pattes de Grégoire, pitoyablement minces pour son gros corps, papillotaient devant ses yeux. " Il va sans dire que cette situation inconfortable sera très mal vécue par Grégoire, jusque-là employé modèle, car sa métamorphose, en l'empêchant d'aller au bureau, provoquera chez les parents Samsa une bien compréhensible déception devant l'attitude inconvenante de leur fils. Méfiez-vous des contrefaçons. Si vous ne possédez pas à fond la langue allemande, ne lisez de Ka.fka que les traductions garanties Vialatte. Les autres doivent être considérées comme des interprétations libres, aussi loin de Kafka que les improvisations d'Yvette Horner sont loin des Brandebourgeois. C'est une tendance qu'on retrouve chez quelques metteurs en scène de théâtre ou chorégraphes, et qui consiste, faute de talent authentique, à fienter autour des oeuvres de ceux qui en ont, pour se donner l'illusion qu'ils existent.
Exemple : cette traduction de la Métamorphose signée Roland Barques : " Un matin, dans un nid de scarabées noirs installés sous l'évier de la cuisine des Fournier, 87, rue de la Marne à Puteaux, l'un de ces coléoptères, au sortir d'un rêve agité, s'éveilla transformé en employé de la BNP. A la place de ses élytres, il portait une chemise " Guy Dormeuil habille les hommes forts " et il tamponnait des traites à quatre-vingt-dix jours en fredonnant Stranger in the night. " Je dis que trop c'est trop.



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