Dictionnaire Superflu
à l'usage de l'élite et des bien nantis

Noms propres


P



La vilenie du comte de Paris (photo Détective).

Paris ville de France aux murs chargés d'histoire et au sol couvert de crottes de chiens.
Les premiers habitants de Paris s'appelaient les Parisiiiiiiii à cause de leur habileté à glisser et à freiner dans les crottes de chiens. Aujourd'hui, les habitants de Paris s'appellent les Parichiens parce qu'ils aboient pour faire pousser les pommes de terre. Exemple : " T'avances, eh, patate " (VICTOR HuGo, Racines).
Paris est le siège du gouvernement de la France. Tous les cinq ou sept ans, une bande d'incompétents cyniques de gauche succède à une bande d'incompétents cyniques de droite, et le peuple éperdu d'espoir s'écrie " On a gagné " à travers les rues de Paris, sans même s'apercevoir qu'il continue de glisser dans la merde de la Bastille à la Nation.
Peinard, face à la Seine, le palais bourbonne. Paris est célèbre dans le monde entier par le nombre incroyable de ses arrondissements. Ces principaux arrondissements sont : le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième, le cinquième, le sixième, le septième, le huitième, le neuvième, le dixième, le onzième, le douzième, le treizième, le quatorzième, le quinzième, le dix-septième, le dix-huitième, le dix-neuvième, le vingtième.
De nombreux plans de Paris font également état d'un seizième arrondissement ; mais nous préférons ici le passer sous silence, car c'est un arrondissement extrêmement vulgaire, tape-à-l'oeil et gourmetté au point que les passants n'y passent pas, ils cliquettent.
Revoyons maintenant la ville de Paris arrondissement par arrondissement avec une attention plus soutenue.

1er arrondissement : remarquable pour la place Vendôme dont la beauté tranquille abrite de feutrés diamantaires courbés d'émotion devant les satrapes orientaux cousus d'or noir. Pour le musée du Louvre aux statues égyptiennes inhumaines à force de pureté, et son premier étage où le gardien fier mais usé répète en vain que " non, madame, la Joconde, ce n'est pas une toile, c'est sur du bois ". Et puis aussi pour le jardin des Tuileries, trop bien rangé-carré peut-être, mais dont les marronniers, de siècle en siècle, continuent d'ombrager les amours naissantes et les ruptures orageuses, ponctuant sobrement les soupirs et les pleurs du ploc-ploc rustique de leurs marrons mûrs s'éclatant sur les gueules des transis enlacés.

2e arrondissement : la Bourse à ma gauche, les putes à ma droite, c'est l'arrondissement de l'argent en gros et de l'amour en stock. Du côté de la rue d'Aboukir, des juifs débordés virevoltent, les bras chargés de coupons de rayonne. Le chômeur mou les regarde courir. Il se demande s'il est vraiment urgent de du tissu quand il fait si beau.

3e arrondissement : " à l'âge où s'amuser tout seul ne suffit plus ", j'ai connu une naine rue des Minimes. Cela ne s'oublie pas. Employée aux Archives nationales, elle avait un sens du rythme époustouflant. C'est, à ma connaissance la seule documentaliste assermentée capable de téter un homme en twistant sur du Cloclo.

4e arrondissement : le centre Pompidou a longtemps divisé les Parisiens en trois grandes catégories : ceux qui trouvaient ça laid, ceux qui trouvaient ça beau, et ceux qui se demandaient s'il fallait trouver ça laid ou beau pour avoir l'air dans le coup. Rien n'est plus incertain que le sens architectural des Parisiens. On a vu les mêmes honnir le Sacré-Coeur et s'esbaudir à Beaubourg après avoir déchiré leur T-shirt en pleurant des [armes de sang devant la démolition des ferrailleries utilitaires de M. Baltard.

5e arrondissement : on en retiendra le Panthéon, où s'entreposent de considérables rogatons que les puissants temporaires viennent fleurir en s'émouvant face aux caméras, l'hôpital du Val-de-Grâce où les militaires ont le bon goût de souffrir un peu, le jardin des Plantes, où les enfants se rient de la plainte du loup fou enfermé, qui tourne et tourne en rond jusqu'à saigner des griffes, et les foutoirs estudiantins hantés de longilignes couillons pré-fatigués, embrumés d'herbes troubles et peu prompts à penser.

6e arrondissement : moins authentique qu'une euphorie au Préfontaines, c'est le quartier Latin. D'ailleurs, on y mange mal, mais grec. Merci mon Dieu, merci Carpeaux, le jardin du Luxembourg a conservé son charme bon chic, bon genre, belles dames de France encore un peu crinoliennes et poussant des landaus raffinés sous les fenêtres du palais où passe, parfois feutrée, l'ombre balzacienne d'un sénateur enflé. De Saint-Placide à Vavin, les enfants du collège Stanislas, la nuque droite et l'oeil poli, continuent d'assurer la survie du blazer en milieu para-texan.

7e arrondissement : tour Eiffel : vous qui pleurez sur Baltard, rappelez-vous que vos grands-pères identiques exigèrent à hauts cris la destruction de cette " vivante apologie métallique du mauvais goût français ". De considérables Sommités médicales déclarèrent sans rire qu' " on s'y pouvait faire mourir de la raréfac-tion de l'air après le premier étage". Les mêmes, pour tout dire, pérorent encore à l'Ordre des médecins où, faute d'avoir pu brûler Pasteur pour hérésie, ils se vengent en pourchassant le guérisseur, convaincus qu'ils sont de détenir de droit divin le monopole de l'incompétence face au cancer.

8e arrondissement : bruyant, affairé, fourmillant le jour, ce quartier devient, à la nuit tombée, plus sinistre qu'un chapeau mou sur un potentat soviétique. C'est le pays des bureaux. La nuit, les gardiens du même nom affichent tristement sous leur casquette l'oeil méticuleux des mortels gagne-petit préoccupés de se ménager l'avenir en s'achetant des crématoriums en viager. Saint-Lazare est essentiellement une gare de banlieue. On ne s'y étreint guère pour des adieux mouillés comme à Montparnasse ou Austerlitz. On s'y bouscule, on s'y piétine, on s'y hait brièvement. La buraliste s'agace, le guichetier fulmine, le merguézien n'a pas la frite.
Sur le mur de la Cour du Havre, à plus d'un mètre du sol, on peut lire sous un trait large peint à l'huile : " Crue de 1910." On dit aujourd'hui que, par la grâce des ingénieurs des Eaux-et-Rivières susceptibles de hauts et bas, Paris est désormais à l'abri d'un tel débordement. Et je dis que c'est triste. L'idée de mourir un jour sans avoir eu la chance de voir Paris noyé à hauteur de béret m'est intolérable. Les bagnoles qui puent, qui vroument, les mammifères de bureau vibratiles, les pépés grommeleux à bout de chien chieur, les amoureux par deux, les Nippons touristiques, contempler toute cette vase d'humanité pour quelques heures enfouie sous l'eau lisse et tranquille de la Seine éternelle, dans le silence où passe une mouette étonnée qui se pose sur la crête émergée d'un parcmètre englouti et voit passer trois képis bleus flottant vers Rouen et les mers atlantiques, ah, merde à Dieu, mourir après je veux bien, voir Naples avant, je m'en fous.

9e arrondissement : appelé ainsi en hommage à Blanche de Castille qui s'y fit engrosser neuf fois par Henri le Mutin.
C'est le seul arrondissement de Paris réellement digne d'intérêt. Ce jugement péremptoire pourra choquer le lecteur en droit d'attendre plus d'objectivité de la part d'un dictionnaire, mais, compte tenu de la partialité de certains bulletins météorologiques, ou de l'orientation politique sournoisement insufflée dans la rédaction des pages jaunes de l'annuaire, j'aurais tort de me gêner, comme disait Blanche de Castille en noyant ses foetus sous le Pont-Neuf, appelé ainsi pour les raisons déjà précisées plus haut.
L'intérêt du neuvième arrondissement de Paris, aux yeux subjectifs de l'auteur, ne résidepas dans le fait qu'on y rencontre, rue Pigalle ou rue Frochot, d'inamovibles hétaïres isothermiques, le jambon toujours offert aux frimas montmartrois. Ni dans l'élégant fourmillement des grands magasins où la Parisienne épanouie pimpe à tous les étages. Ni dans l'érotisme glacé des Folies-Bergère (entrez, blancs moutons...). Ni dans l'ordonnancement m'as-tu-vu des beaux immeubles du baron Haussmann. Simplement, c'est là, dans le neuvième arrondissement, entre le Printemps et l'Olympia, qu'ont brûlé mes années jeunes, que j'ai fait mes plus belles bêtises et mes plus beaux enfants. On n'a pas idée d'avoir ses racines et sa nostalgie si loin des pâquerettes, mais aujourd'hui encore, tandis qu'à l'ordinaire je bourgeoise et jardine à l'autre bout de Paris, le coeur me serre à la traversée de la Chaussée-d'Antin.

10e arrondissement : quartier gris. La rue Lafayette qui finit mal, avec ce pont hideux de ciment croisé au-dessus des rails. La gare de l'Est, la gare des guerres allemandes et des services militaires à épinal :

" Avec ce train ventru
qui ronronne et soupire
et qui va nous conduire
jusqu'au malentendu. "

11e arrondissement : c'est le lieu commun du non-tourisme parisien. L'Américain s'y fait rare, le Nippon s'y désole, le Hollandais lui-même s'aperçoit qu'il s'y emmerde. Le onzième n'irradie pas. Il est anti-monumental. Et ne me parlez pas de l'église Saint-Ambroise.
Quand je la croise, j'ai honte pour Dieu.

12e arrondissement : le campanile de la gare de Lyon bande au sud, c'est plus gai. Au bord de Seine et de mourir bientôt sous les bulls, les entrepôts de Bercy où j'ai mes amis pour trinquer sous les arbres, forment un fabuleux village finissant, qui sent bon la futaille et les caves d'antan. Rue de Château-Lafite, cour Margaux, enclos du Maconnais, rues pavées à l'herbe hirsute cernées de maisons basses. Passe un vieux chat tripode. Dans l'antre poussiéreux de ses cognacs centenaires, M. Celestin se chauffe au poêle de fonte qu'il a acheté en 1928, putain d'année pour les Bordeaux.

13e arrondissement : normalement, aux avrils moins frais où les clochards s'enfuient effarés de la Salle Pétrière, il en est un, plus très quinquagénaire et franchement haillonné, qui rêve assis place d'Italie, au coin de l'avenue de Choisy. Je connais par coeur le texte du panneau de carton sale calé par sa sébile et qui lui tient lieu de carte de visite :

" J'ai soif.
A titre indicatif, notez
Les tarifs moyens pratiqués dans
Le quartier
Petit blanc : 3,50 F
Ballon de rouge : 2 F
Demi-pression : 4 F. "

14e arrondissement : pour les ultimes fanas du charleston, les fantômes titubants des Fitzgerald ivres morts hantent peut-être encore le mont Parnasse de Port-Royal à la Gaîté. Mais les années ne sont plus folles. Plus de peintres à la Coupole. Des cadres.

15e arrondissement : le cimetière de Vaugirard est le plus petit de Paris. Personne ne sait vraiment où il est. Quelquefois les morts ne savent pas y aller. Ils attendent le Jugement dernier dans de fragiles autos noires mal garées rue Lecourbe.
Au début des années soixante, à la caserne Dupleix, entre le boulevard de Grenelle etl'avenue de Suffren, devant la guérite qui fait face à la rue Desaix, se tenait, troufioniquement raide et grossier, un sous-officier de cavalerie rouge viné qui accueillait les enfants en âge de guerre coloniale par des beuglements triomphaux : " Alors, les petits pédés, on l'a dans le cul ! " J'espère qu'il est mort dans d'atroces souffrances.

17e arrondissement : c'est l'arrondissement le plus riche en grandes places rondes et cossues aux terrasses feuillues et garnies d'écaillers prospères. A leurs tables, le bourgeois lent suce l'huître en appréciant la bourse. Au lycée Carnot, où j'ai souffert avec soin d'être obligé d'apprendre, nous étions fiers et bêtes. La fesse gauche de mon professeur de philo avait été mordue par un obus allemand, et le maître de chimie avait la voix flûtée. Nous les appelions Demi-Lune et Quart-de-Couille. La honte aujourd'hui encore m'empourpre. Peut-être espèrent-ils que je suis mort dans d'atroces souffrances ?

18e arrondissement : les samedis de soleil voient les automobiles s'emplir de Parisiens familiaux chargés de presse-purée, de chats domestiques et de progénitures énervées. A midi chaud, la fourmilière est vide et frappée de silence. Alors, des murs gris des boulevards, de la Chapelle à Clichy, suinte lentement la coulée douce des immigrés. Désolamment endimanchés ou quasiment princiers dans les toges arrogantes des rois de payj peuhl, ils sortent promener leur solitude comme on va faire pisser son chien, sans joie, sans trop penser, et en trottant derrière. çà et là, quelque raciste pauvre les croise avec dédain.

l9e arrondissement : rue de Belleville ou avenue Secrétan, le marché est partout et tout le temps. C'est le Paris-village encore qui dure. Merci poissonnier. Tu sens meilleur que le psychanalyste.
Aux Buttes-Chaumont, le plus vieux manège était déjà là quand mon père était petit. J'y mène mes enfants. ça tourne et ça nous pousse. La mort est un tour de cochon. Je me demande si le cimetière de la Villette n'est pas plus petit que celui de Vaugirard.

20e arrondissement : on me dit que c'est un quartier populaire. Il faudra que j'aille voir.



[ - Pierre Desproges - ] [ - Dictionnaire Superflu - ]