P![]() La vilenie du comte de Paris (photo Détective). Paris ville de France aux murs chargés d'histoire et au sol couvert de crottes de chiens.
1er arrondissement : remarquable pour la place Vendôme dont la beauté tranquille abrite de feutrés diamantaires courbés d'émotion devant les satrapes orientaux cousus d'or noir. Pour le musée du Louvre aux statues égyptiennes inhumaines à force de pureté, et son premier étage où le gardien fier mais usé répète en vain que " non, madame, la Joconde, ce n'est pas une toile, c'est sur du bois ". Et puis aussi pour le jardin des Tuileries, trop bien rangé-carré peut-être, mais dont les marronniers, de siècle en siècle, continuent d'ombrager les amours naissantes et les ruptures orageuses, ponctuant sobrement les soupirs et les pleurs du ploc-ploc rustique de leurs marrons mûrs s'éclatant sur les gueules des transis enlacés. 2e arrondissement : la Bourse à ma gauche, les putes à ma droite, c'est l'arrondissement de l'argent en gros et de l'amour en stock. Du côté de la rue d'Aboukir, des juifs débordés virevoltent, les bras chargés de coupons de rayonne. Le chômeur mou les regarde courir. Il se demande s'il est vraiment urgent de du tissu quand il fait si beau. 3e arrondissement : " à l'âge où s'amuser tout seul ne suffit plus ", j'ai connu une naine rue des Minimes. Cela ne s'oublie pas. Employée aux Archives nationales, elle avait un sens du rythme époustouflant. C'est, à ma connaissance la seule documentaliste assermentée capable de téter un homme en twistant sur du Cloclo. 4e arrondissement : le centre Pompidou a longtemps divisé les Parisiens en trois grandes catégories : ceux qui trouvaient ça laid, ceux qui trouvaient ça beau, et ceux qui se demandaient s'il fallait trouver ça laid ou beau pour avoir l'air dans le coup. Rien n'est plus incertain que le sens architectural des Parisiens. On a vu les mêmes honnir le Sacré-Coeur et s'esbaudir à Beaubourg après avoir déchiré leur T-shirt en pleurant des [armes de sang devant la démolition des ferrailleries utilitaires de M. Baltard. 5e arrondissement : on en retiendra le Panthéon, où s'entreposent de considérables rogatons que les puissants temporaires viennent fleurir en s'émouvant face aux caméras, l'hôpital du Val-de-Grâce où les militaires ont le bon goût de souffrir un peu, le jardin des Plantes, où les enfants se rient de la plainte du loup fou enfermé, qui tourne et tourne en rond jusqu'à saigner des griffes, et les foutoirs estudiantins hantés de longilignes couillons pré-fatigués, embrumés d'herbes troubles et peu prompts à penser. 6e arrondissement : moins authentique qu'une euphorie au Préfontaines, c'est le quartier Latin. D'ailleurs, on y mange mal, mais grec. Merci mon Dieu, merci Carpeaux, le jardin du Luxembourg a conservé son charme bon chic, bon genre, belles dames de France encore un peu crinoliennes et poussant des landaus raffinés sous les fenêtres du palais où passe, parfois feutrée, l'ombre balzacienne d'un sénateur enflé. De Saint-Placide à Vavin, les enfants du collège Stanislas, la nuque droite et l'oeil poli, continuent d'assurer la survie du blazer en milieu para-texan. 7e arrondissement : tour Eiffel : vous qui pleurez sur Baltard, rappelez-vous que vos grands-pères identiques exigèrent à hauts cris la destruction de cette " vivante apologie métallique du mauvais goût français ". De considérables Sommités médicales déclarèrent sans rire qu' " on s'y pouvait faire mourir de la raréfac-tion de l'air après le premier étage". Les mêmes, pour tout dire, pérorent encore à l'Ordre des médecins où, faute d'avoir pu brûler Pasteur pour hérésie, ils se vengent en pourchassant le guérisseur, convaincus qu'ils sont de détenir de droit divin le monopole de l'incompétence face au cancer. 8e arrondissement : bruyant, affairé, fourmillant le jour, ce quartier devient, à la nuit tombée, plus sinistre qu'un chapeau mou sur un potentat soviétique. C'est le pays des bureaux. La nuit, les gardiens du même nom affichent tristement sous leur casquette l'oeil méticuleux des mortels gagne-petit préoccupés de se ménager l'avenir en s'achetant des crématoriums en viager. Saint-Lazare est essentiellement une gare de banlieue. On ne s'y étreint guère pour des adieux mouillés comme à Montparnasse ou Austerlitz. On s'y bouscule, on s'y piétine, on s'y hait brièvement. La buraliste s'agace, le guichetier fulmine, le merguézien n'a pas la frite.
9e arrondissement : appelé ainsi en hommage à Blanche de Castille qui s'y fit engrosser neuf fois par Henri le Mutin.
10e arrondissement : quartier gris. La rue Lafayette qui finit mal, avec ce pont hideux de ciment croisé au-dessus des rails. La gare de l'Est, la gare des guerres allemandes et des services militaires à épinal : qui ronronne et soupire et qui va nous conduire jusqu'au malentendu. " 11e arrondissement : c'est le lieu commun du non-tourisme parisien. L'Américain s'y fait rare, le Nippon s'y désole, le Hollandais lui-même s'aperçoit qu'il s'y emmerde. Le onzième n'irradie pas. Il est anti-monumental. Et ne me parlez pas de l'église Saint-Ambroise.
12e arrondissement : le campanile de la gare de Lyon bande au sud, c'est plus gai. Au bord de Seine et de mourir bientôt sous les bulls, les entrepôts de Bercy où j'ai mes amis pour trinquer sous les arbres, forment un fabuleux village finissant, qui sent bon la futaille et les caves d'antan. Rue de Château-Lafite, cour Margaux, enclos du Maconnais, rues pavées à l'herbe hirsute cernées de maisons basses. Passe un vieux chat tripode. Dans l'antre poussiéreux de ses cognacs centenaires, M. Celestin se chauffe au poêle de fonte qu'il a acheté en 1928, putain d'année pour les Bordeaux. 13e arrondissement : normalement, aux avrils moins frais où les clochards s'enfuient effarés de la Salle Pétrière, il en est un, plus très quinquagénaire et franchement haillonné, qui rêve assis place d'Italie, au coin de l'avenue de Choisy. Je connais par coeur le texte du panneau de carton sale calé par sa sébile et qui lui tient lieu de carte de visite : A titre indicatif, notez Les tarifs moyens pratiqués dans Le quartier Petit blanc : 3,50 F Ballon de rouge : 2 F Demi-pression : 4 F. " 14e arrondissement : pour les ultimes fanas du charleston, les fantômes titubants des Fitzgerald ivres morts hantent peut-être encore le mont Parnasse de Port-Royal à la Gaîté. Mais les années ne sont plus folles. Plus de peintres à la Coupole. Des cadres. 15e arrondissement : le cimetière de Vaugirard est le plus petit de Paris. Personne ne sait vraiment où il est. Quelquefois les morts ne savent pas y aller. Ils attendent le Jugement dernier dans de fragiles autos noires mal garées rue Lecourbe.
17e arrondissement : c'est l'arrondissement le plus riche en grandes places rondes et cossues aux terrasses feuillues et garnies d'écaillers prospères. A leurs tables, le bourgeois lent suce l'huître en appréciant la bourse. Au lycée Carnot, où j'ai souffert avec soin d'être obligé d'apprendre, nous étions fiers et bêtes. La fesse gauche de mon professeur de philo avait été mordue par un obus allemand, et le maître de chimie avait la voix flûtée. Nous les appelions Demi-Lune et Quart-de-Couille. La honte aujourd'hui encore m'empourpre. Peut-être espèrent-ils que je suis mort dans d'atroces souffrances ? 18e arrondissement : les samedis de soleil voient les automobiles s'emplir de Parisiens familiaux chargés de presse-purée, de chats domestiques et de progénitures énervées. A midi chaud, la fourmilière est vide et frappée de silence. Alors, des murs gris des boulevards, de la Chapelle à Clichy, suinte lentement la coulée douce des immigrés. Désolamment endimanchés ou quasiment princiers dans les toges arrogantes des rois de payj peuhl, ils sortent promener leur solitude comme on va faire pisser son chien, sans joie, sans trop penser, et en trottant derrière. çà et là, quelque raciste pauvre les croise avec dédain. l9e arrondissement : rue de Belleville ou avenue Secrétan, le marché est partout et tout le temps. C'est le Paris-village encore qui dure. Merci poissonnier. Tu sens meilleur que le psychanalyste.
20e arrondissement : on me dit que c'est un quartier populaire. Il faudra que j'aille voir. |